mardi 6 octobre 2009

100 Jahre Ballets Russes

100 Jahre Ballets Russes, c’est la traduction allemande pour le 100ème anniversaire des Ballets Russes. Pourquoi allemande me diriez vous ? Et bien entre deux chopes de bière à l’Oktoberfest, Le Polyscope a couvert trois performances (Ballets Russes, Carmen et Ariadne auf Naxos) d’une rare exécution au Bayerisches Staatsballett et au Bayerische Staatsoper de Munich. Premier arrêt pour le 100ème anniversaire des Ballets Russes.

Shéhérazade

Musique de Rimsky-Karsakow, chorégraphie de Mikhail Fokine. L’histoire prend place dans un harem au temps des Milles et une nuits. Zobéide (Lucia Lacarra), la favorite du Shah Shariar, se sent délaissée par le souverain, et le suspecte de rechercher les faveurs d’une autre. Laissant Zobéide avec les autres femmes du harem aux parures de couleurs et aux hanches endiablées, plusieurs esclaves viennent rejoindre les femmes et prennent part à une véritable ode à l’amour (lire ici orgie pure et simple). Zobéide est quant à elle rejointe par un esclave d’or, se séduisant mutuellement, pour terminer en une danse sensuelle, les deux s’abandonnant l’un à l’autre.

Le Shah apparait, rejoint par son frère haineux. Les gardes sont appelés, et assassinent femmes et esclaves du harem, y compris l’esclave d’or de Zobéide. Prise de désespoir, elle se suicide au pied du Shah. Cette histoire marque le début des récits des Milles et une nuits, car le Shah passera par la suite chaque nuit avec une femme différente, les tuant au soleil levant, pour ne pas qu’elles puissent le tromper. Shéhérazade sera la seule à le captiver par ses récits qui continuèrent nuit après nuit, jusqu’à vaincre sa jalousie et conquérir son amour.

Le ballet est magnifique, la musique de Rimski-Karsakov réussissant à transmettre de fortes émotions, soutenue par une mise en scène à l’érotisme éblouissant.


Zobéide, crédit photo : Wilfried Hösl


Les Biches

Musique de François Poulenc, chorégraphie de Bronislawa Nijinska. Côte d'Azur, un après midi. Trois sportifs français sèment le trouble dans l’esprit encore innocent des biches, ces demoiselles aux allures pures et sensibles. Mais derrière cette façade délicate se cache aussi une terrible envie de conquérir physiquement le cœur et le corps des trois sportifs, dont l’un est épris par une mystérieuse hôtesse de la villa à la grâce distinguée.

L’histoire n’est qu’un prétexte à une chorégraphie explorant toutes les possibilités des ballets classiques, et reste quelque peu creuse par rapport au ballet précédent. La chorégraphe russe Nijinska n’étant autre que la sœur du célèbre Nijinski qui marqua l’histoire du ballet, on ne pouvait s’attendre à une performance autre que techniquement parfaite de la part des danseurs et danseuses.

Les Biches, crédit photo : Wilfried Hösl

Once Upon An Ever After

Le clou de la soirée ! Une véritable surprise visuelle et auditive, poignante d’émotions et au modernisme inattendu. Chorégraphie de Terence Kohler et musique : la Symphonie pathétique de Tchaïkovski.

À travers les différents thèmes du ballet classique (l’éternité, le cœur brisé, les créatures de la nuit, le réveil, la valse compulsive, le classicisme symphonique, l’éternel cygne et pour finir l’éternité) nous retrouvons les personnages de Giselle, le Lac des cygnes et la Belle au bois dormant, figures dominantes du ballet dit «classique». Chaque tableau propose un décor original, exploitant à merveille la musique de Tchaïkovski, tantôt dans les moments de désespoir ou de renouveau.

La mise en scène est originale et innovante, désacralisant quelque peu cette forme très codifiée de l’art dramatique, certaines danseuses enfilant leur tutu sur la tête, se faisant pour l’occasion une auréole florale. La foule réserva ses plus chaleureux applaudissements pour cette dernière création, allant même jusqu’à une ovation debout de la part de l’ensemble du public après de nombreux rappels.

Le Bayerisches Staatsballett a véritablement réussi à rendre hommage au 100ème anniversaire des Ballets Russes, avec une programmation de trois œuvres variées, allant d’un grand classique en Shéhérazade à une ode au classicisme du genre avec Les Biches, tout en passant par une performance moderne et originale avec Once Upon An Ever After. Bravo aux danseurs, qui réussirent à combler l’audience de par leurs exploits sur scène, ainsi qu’au chef d’orchestre Valery Ovsianikov qui sus délivrer une performance soutenue et d’une exécution de grande justesse lors des trois spectacles.

Par William Sanger

Simon Boccanegra au Grand Théâtre de Genève


Simon Boccanegra, corsaire doge de la ville de Gènes aux prises avec les luttes intestines du pouvoir et des intrigues amoureuses qui rongent son entourage. Simon Boccanegra, l’opéra de Verdi, est joué au Grand Théâtre de Genève dans une mise en scène de José Luis Gómez d’une rare qualité où modernisme et émotion se côtoient…

Cet opéra en trois actes et un prologue est produit conjointement avec le Gran Teatr del Liceu de Barcelone, opéra reconnu pour son avant-gardisme permanent.

Simon Boccanegra, crédits photo : Carole Parodi

D’une intrigue foisonnante, le livret musical fut écrit une première fois par Verdi en 1857 à la Fenice de Venise puis fut retravaillé par l’auteur en 1881 à la Scala de Milan. C’est cette seconde version qui est présentée dans les salles du monde, opéra peu joué de par l’ampleur du récit et la prédominance des barytons et basses, mais ô combien plaisant à voir si la mise en scène ne s’empêtre pas dans les détails historiques et laisse l’ampleur adéquate aux personnages de Simon Boccanegra (Roberto Frontali), Fiesco (Giacomo Prestia). Le Grand Théâtre a su relever le défi et a présenté une œuvre de grand esthétisme.

Porté au pouvoir en tant que doge de la ville de Gènes après une vie de corsaire, Simon Boccanegra trouve en Fiesco un ennemi redoutable, car le nouveau doge s’est épris de la fille de Fiesco, fille maintenant morte dont l’enfant a été enlevé. C’est lors de ce prologue que débute l’opéra de trois actes aux décors originaux, très épurés, consistant en deux panneaux de verres réfléchissants lumières et servant de miroir, où le jeu des ombres et de la profondeur accentue et sert grandement l’aspect dramatique des personnages.

L’acte premier a lieu vingt-cinq années plus tard et présente le doge Boccanegra en homme juste et sage. Les luttes de pouvoir à Gènes font rage, les Guelfes tentant d’assassiner Simon Boccanegra. Sous des teintes pâles, rosâtres et s’apparentant au lever de soleil matinal, la belle Amelia Grimaldi (Krassimira Stoyanova) apparaît, tiraillée entre son amour pour le jeune Guelfe Gabriele Adorno et le mariage que désire arranger le doge en elle et Paolo Albiani. Après être restés en tête à tête, Simon Boccanegra découvre en Amelia sa fille enlevée lors de son ascension au pouvoir 25 ans plus tôt, et intercède en faveur de l’union qu’Amélia désire avec Gabriele.

Paolo, fou de rage, formente le projet d’assassiner le doge, et trompe Gabriele en le convainquant d’empoisonner la coupe de Boccanegra. Le second acte montre Simon réunissant et sommant d’apaiser les différents camps, leur disant qu’ils sont frères envers et contre tout.

Finalement, Boccanegra boit le poison, et se meurt lentement. Après avoir vu une dernière fois la mer qui l’a jadis porté au vent, il bénit les jeunes mariés Amelia et Gabriele, et se réconcilie avec son ancien ennemie Fiesco en lui présentant sa petite-fille Amelia qu’il croyait aussi perdue. La ville pleure, les sons de cloches de l’orchestre retentissent, sinistres, et les habitants nomment Gabriele doge de Gènes à la place de Boccanegra.

Cette vaste histoire est servie à merveille par la mise en scène de l’espagnol Gómez, alimentant ainsi un véritable flot émotionnel dans les moments forts de l’opéra. L’arrivée d’Amélia, à travers les panneaux de verres miroitant, le dédoublement de la foule oppressant les personnages, la portée au pouvoir de Boccanegra ainsi que la fin du premier acte où Paolo est maudit par la foule et lui-même, et où les panneaux semblent rétrécir jusqu’à l’écraser, sont autant d’instant poignants et forts de cette première de saison. Bravo au chef d’orchestre italien Evelino Pidò qui a su diriger de main de maître tout au long des 2h30 de la représentation, rendant cette soirée inoubliable.

Par William Sanger

jeudi 18 juin 2009

Lucia di Lammermoor : une tragédie shakespearienne à l’italienne

L’Opéra de Montréal rabattait le voile de sa 29ème saison avec la présentation de l’œuvre de Puccini, Lucia di Lammermoor, créée en 1835 à Naples (Italie).

Lucia di Lammermoor, Acte III (Crédits : Opéra de Montréal)

Acte I. L’histoire se déroule en Écosse à la fin du XVIè siècle. Deux familles rivales, les Ashton, dont le château se situe près de Lammermoor, et les Ravenswood, connaîtront un destin tragique. Lucia Ashton (Eglise Gutierrez) et Edgardo Ravenswood (Stephen Costello) désirent se marier malgré le passé belliqueux de leurs familles respectives. Enrico Ashton (Jorge Lagunes), le frère de Lucia, désire rompre les sentiments qui unissent les jeunes gens. Edgardo, après avoir jurer son amour, doit partir en France et laisse sa bien-aimée à sa famille qui entrevoit son avenir d’une toute autre façon.

Acte II. Plusieurs mois ont passé sans que Lucia ne reçoive de nouvelle de la part d’Edgardo. Son frère Enrico intercepte chaque missive que lui envoie son amant et prépare le mariage de sa sœur avec Arturo Bucklaw. Cette nouvelle alliance se voyant refuser sur le champ par Lucia, Enrico montre une fausse lettre prouvant l’infidélité d’Edgardo. Lucia se résigne, dépitée, et consent se marier avec Arturo. Edgardo revient au château de Lammermoor où sont célébrées les fiançailles de Lucia et d’Arturo ; apprenant ce mariage, Edgardo défie Arturo et Enrico en duel.

Acte III. Le mariage est maintenant fêté. Lucia arrive au milieu des convives en robe blanche tâchée de sang, elle a assassiné Arturo, et sombre progressivement dans la folie dans la scène nommée «il dolce suono». Elle perd tout lien avec la réalité et rêve d’un avenir avec son amant Edgardo. On l’emporte, mourante. Edgardo est quant à lui sur les tombes des Ravenswood et attend Enrico pour leur duel. Il apprend que Lucia vient de mourir, et pris de désespoir, s’ôte la vie.

Lucia et Edgardo, Acte III (Crédits : Opéra de Montréal)

Lucia di Lammermoor est une œuvre forte, un peu longue (2h30), mais qui permet à la psychologie des personnages de prendre l’ampleur suffisante et essentielle pour devenir une œuvre profonde et marquante. La scène de la folie est à couper le souffle. Toute la virtuosité d’Eglise Gutierrez permet de clouer littéralement les spectateurs dans leurs sièges, et l’on comprend mieux pourquoi Luc Besson a repris ce passage dans son film le Cinquième Élément avec la scène de la Diva, tant par la beauté du morceau que par l’étendue des sentiments transmis. Un très bel effort semble avoir été mis à l’élaboration des décors qui surent recréer l’ambiance écossaise du moyen-âge. Bravo à l’Opéra de Montréal pour cette dernière représentation de la 29ème saison !

Lucia di Lammermoor termine en beauté la saison 2008-2009 de l’Opéra de Montréal qui a su présenter au fil des mois des œuvres originales, poignantes et fortes. Rappelons les Fanciulla del West de Puccini, les Pêcheurs de perles de Bizet, Macbeth de Verdi, Cosi fan tutte de Mozart (Atelier lyrique) et bien sur Starmania du duo Plamondo-Berger qui marquèrent et firent vibrer la scène musicale montréalaise de par leur qualité d’interprétation, l’originalité des décors et de la mise en scène, puis finalement par le caractère magique de chacune des représentations.

L’Opéra de Montréal fêtera son 30ème anniversaire avec faste par une programmation exceptionnelle pour l’année 2009-2010 qui débutera le 26 septembre prochain avec le programme double Il Paggliacci de Leoncavallo et Gianni Schicchi de Puccini. Novembre apportera La Flûte enchantée de Mozart avec notamment Karina Gauvin dans le rôle de Pamina. Comme cadeau d’anniversaire, l’Opéra offrira à Montréal Tosca, œuvre de Puccini, qui fut la première pièce jouée de l’histoire de l’Opéra de Montréal en 1980. Simon Baccanegra (Verdi) prendra l’affiche en mars et Cendrillon de Massenet clôtura pour la fin du mois de mai cette saison qui s’annonce teintée d’accents italiens, relevée en qualité et riche en émotion.

William Sanger

mardi 16 juin 2009

Le Sacre du printemps & RE-II

Lorsque le 29 mai 1913 les parisiens découvrirent pour la première fois Le Sacre du Printemps de Stravinsky, chorégraphié par Nijinski, ce fut un scandale tel que les danseurs n’entendaient même pas la musique, assaillis par les sifflements, les cris, les demandes de duel… Aujourd’hui cette musique est bien-sûr considérée comme pionnière de la modernité et vous ne douterez pas en l’écoutant de sa force révolutionnaire qui vous cherche jusque dans le tréfonds de votre humanité primitive.

C’est peut-être cette force qui a manqué au Grands Ballets canadiens. Un enregistrement du Sacre plutôt que le jeu de l’orchestre n’est qu’un petit détail par rapport à une chorégraphie qui ne se situe pas clairement entre classique et novateur. Les passages de groupe nous entraînaient bien dans cet aspect ancestral et tendu qu’évoque la musique, mais le ballet tarde trop à nous accrocher, entre autres à cause des solos qui n’ont pas lieu d’être de par cet aspect collectif inhérent au Sacre. Est-ce simplement la chorégraphie qui comporte quelques faiblesses ou la troupe qui danse à la perfection mais sans âme? Cependant, on ne peut nier que le spectacle nous captive pour certains passages très forts : danse des hommes, exclusion de l’élue, course… Il a simplement déjà été fait plus intéressant.

Le ballet Re-II, même s’il s’appuie sur une bande sonore moins «puissante» est beaucoup plus convaincant dans la cohérence de son œuvre. Il nous offre une trentaine de minutes absolument délectables, dans des instants chorégraphiques complètement nouveaux. La grâce déployée sur fond de bruits de jungle, les costumes aux airs de toucan, les images projetées sont parmi les éléments qui nous font rentrer dans un lieu intemporel, appartenant au monde mais nous conduisant au-delà du réel, dans univers où la sensibilité et la spiritualité peuvent enfin reprendre leur place et oublier notre société dominée par l’adoration de l’argent. Des instants «blancs» de pure grâce. Une atmosphère inoubliable, riche, dense, où les danseurs exaltent la beauté de leur art.

Sacre du Printemps, Stijn Celis.

RE-II, Shen Wein.

26,27,28 mars et 2,3,4 avril

Raphaelle Occhietti

La Dame de Pique

Si seulement toute la grâce des ballets pouvait accompagner la vie de tous les jours ! Mais avant tout il vous faut savoir l’histoire de La Dame de Pique, ballet merveilleusement adapté du roman de Pouchkine. Le spectacle débute dans un café, où des officiers accompagnés de leurs belles jouent aux cartes. La tension règne dans cette assemblée, qui ne remarque pas qu’elle est observée de loin par un jeune homme. Hermann, officier de l’armée russe, ne peut se résoudre à jouer comme le font ses camarades, l’envie le gagnera-t-il ?

(Crédits photo : Thierry Ha, Polyphoto)

Soudain, la partie est interrompue par l’arrivée d’une comtesse. Nous plongeons alors dans ses souvenirs de jeunesse à l’aide d’une conception virtuelle impressionnante. La jeune femme, qui vit alors un premier amour, se voit révéler une combinaison de cartes qui permet infailliblement de gagner au jeu du Pharaon. Hermann, obnubilé par cette possibilité de gagner sans risque, fera tout pour arracher le secret à la comtesse, jusqu’à séduire sa dame de compagnie. Des promenades en forêt jusqu’au retour dans le temps où la comtesse, alors une séduisante jeune fille, assistait à des spectacles de ballet, nous somme éblouis par la conception moderne de la mise en scène, mêlant ainsi grâce traditionnelle à virtualité technique. Comme si le ballet permettait de transposer la vie quotidienne, de l’esthétiser, de lui donner un cachet de noblesse.

À l’aide de la jeune femme de compagnie, Hermann réussit à s’introduire chez la comtesse. Ce duo est probablement un des plus beaux instants du ballet. La scène de violence est poignante et portée par l’incroyable performance de la ballerine-comtesse. Celle-ci doit danser comme une femme âgée de 80 ans alors qu’elle n’en a probablement que 20, mais son interprétation est absolument réussie. Nous ressentons par les mouvements saccadés, qui aimeraient pouvoir retrouver la souplesse de la jeunesse, tout le poids des années, toute la résignation devant une vieillesse inéluctable. Effrayée, la comtesse meurt sous le regard froid et désespéré d’Hermann, qui vient de perdre à jamais la chance de pouvoir gagner aux cartes.

Cependant, lorsqu’il assiste aux obsèques, Hermann voit apparaître des dizaines de comtesses mais il est le seul à en faire l’hallucination. Poursuivit, il tombe sur le lit mortuaire de la défunte comtesse et dans un réveil qui crée dans toute l’assemblée le plus grand effroi, celle-ci attrape Hermann. Elle revient d’entre les limbes pour lui révéler la combinaison gagnante, non sans l’avoir terrorisé auparavant. Après avoir refusé l’amour de la dame de compagnie qui danse alors sur le thème douloureux de l’abandon après la trahison des sentiments, Hermann se précipite à la maison de jeu. Lorsqu’il gagne le premier tour, les officiers et les courtisanes se lancent dans une danse à la fois due à la colère de la perte et leur respect naissant pour cet homme. Lorsqu’il gagne la deuxième manche, Hermann décide de miser toute sa fortune. Il est porté par ses compagnons, il est acclamé, tous dansent sur les tables ou avec les jeunes femmes. Lorsqu’Hermann choisit la dernière carte supposée le faire gagner, le meneur du jeu révèle qu’il a tiré la dame de pique. Hermann a donc perdu. L’assemblée s’éloigne du disgracié qui reste seul, tombé par terre sous le poids de la honte, de l’incompréhension et du déshonneur. La comtesse fait son apparition devant cet homme qui a voulu tout avoir sans ne rien faire. Nous sentons sur ses lèvres le sourire ironique de la vengeance alors qu’elle s’éloigne à tout jamais, laissant au monde le soin de régler ses problèmes d’avarice, de mensonge et de trahison.

Les Grands Ballets Canadiens présentent ici un spectacle d’une qualité extraordinaire tant dans la maîtrise de la danse que dans l’originalité et l’harmonie de la mise en scène, méritant ainsi véritablement le levé de l’assistance et ses applaudissements.

La Dame de Pique, présentée à la salle Wilfird Pelletier de la Place des Arts le 25, 30, 31 octobre et 1er november prochain à 20h00.

Raphaelle Occhietti

Sumi Jo chante le bel canto

Contrairement aux concerts habituels (opéras, requiem, concertos), le concert présenté le 20 août 2008 par l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) consistait en une sélection d’airs allant d’une symphonie à l’ouverture d’un opéra. Cette diversité d’airs permettait de proposer un éventail de prouesses techniques de la cantatrice Sumi Jo. Les airs choisis étaient des bel canto, soit des airs écrits pour mettre en valeur la virtuosité vocale de l’interprète.

Sumi Jo (Crédits photo : Richard Template, New York Times)

Le concert débute par la Symphonie no 101 de Joseph Haydn, dite « L’Horloge ». Ce morceau nous fait apprécier à sa juste valeur l’orchestre Symphonique de Montréal. En effet, celui-ci nous transmet l’harmonie du groupe par la musique jouée. Par le frémissement qui parcoure l’ensemble des musiciens répondant à celui de la baguette de Kent Nagano, nous ressentons la symbiose exceptionnelle entre les deux partis. C’est sur le Exsultate jubilate (A vos souhaits !) de Mozart que Sumi Jo fait son entrée mémorable. Elle arbore une robe de sirène au bleu étincelant qui nous laisse la bouche ouverte : nous sommes en présence d’une diva. Originaire de Corée du Sud, après avoir étudié le chant à Rome dans les années 80, Sumi Jo parcourt les opéras du monde entier pour interpréter airs célèbres (notamment la Reine de la nuit – La Flûte enchantée, Mozart) et opéra français (Offenbach). Elle fait preuve sur scène d’une présence magnétique et envoûtante. (voir Maxwell)

On qualifie Sumi Jo de soprano colorature. Soprano, car sa voix est à une tonalité la plus aigüe et légère. Colorature, car sa voix est particulièrement agile et est capable d’une grande facilité à vocaliser. L’opéra baroque italien et le bel canto (airs d’opéra de Rossini, Bellini, Donizetti) exigent de ses interprètes féminines ces caractéristiques. Après l’entracte, nous pouvons à nouveau pleinement profi ter du talent de l’Orchestre Symphonique, avec le morceau d’ouverture de La scala di seta de Rossini. Kent Nagano dirige ses musiciens sans fi oriture mais de manière directe, subtile et avec passion. Puis revient Sumi Jo, cette fois vêtue d’une robe ample, pareille à une feuille d’or. Elle interprète cette fois-ci un extrait de Linda di Chamounix de Donizetti, « O luce di quest’anima ». Elle conquiert le public par ses oscillations de voix ainsi que par sa capacité à tenir les notes les plus aigües de manière a fi ger le temps autour d’elle.

Finalement, dernière partie du programme : l’ouverture de l’opéra Norma, de Bellini. L’ouverture est magistrale ; ébahis, les spectateurs s’étonnent d’avoir gardé la bouche ouverte pour la durée de l’air. Nous avons droit à deux autres extraits de Bellini chantée par Sumi Jo : « O ! Quante volte » (I Capuleti e i Montecchi) et « Qui la voce… vien diletto » (I puratini). Sumi Jo confirme sa réputation de grande diva des temps modernes et sublime le public. Une complicité apparente s’établit entre le chef d’orchestre, heureux de diriger, et la soprano. C’est un cadeau de quatre rappels que ceux-ci nous offrent. Une troisième robe fait son entrée, aux couleurs du soleil couchant, portée par une Sumi Jo souriante et enjouée qui interprètera à tour de rôle : « Ah vos jeux, mes amis » dans Hamlet par Thomas, « Quand le printemps arrive » de Lim Kungsu pour la réunification de la Corée, « L’air de l’Olympe » des contes d’Hoffman (Kent Nagano se prêtera au jeu et ira remonter mécaniquement Sumi Jo sous les rires et la bonne humeur du public), et fi nalement « O mio babbino caro » de Puccini. Après le comique, Sumi Jo nous prouve qu’elle sait chanter un air délicat et qu’elle sait nous faire passer une émotion subtile. Cela confirme son réel talent et sa passion musicale.

Sous les vivas et bravos de la foule, la soprano et le chef d’orchestre se sont exprimés en français devant un public conquis et charmé par la beauté de la musique et la qualité de l’interprétation.

Raphaelle Occhietti et William Sanger

La Fanciulla del West de Puccini

La fanciulla del West ou la fille du Far West, un titre auquel on ne s’attend pas pour un opéra représenté pour la première fois en 1910 par le compositeur italien Puccini. Peut-être ce titre semble moins pouvoir porter la tension dramatique que nous connaissons par Madame Butterfly, Tosca ou La Bohème. Et pourtant ! L’opéra s’ouvre par l’image d’un train fi lant à vive allure qui s’estompe pour laisser place au décor de rouille et de carcasses métalliques. Qui retrouvons-nous ? Les mineurs, bien-sûr, des hommes qui donnent leur vie à la recherche de quelques pépites d’or qu’ils peuvent envoyer à leur famille restée au pays. Ils vivent au pied des Cloudy Mountains en Californie, passant de la mine au Polka Bar, où ils peuvent se réchauffer au whisky, entre les jeux et les filles. Dans cet endroit où s’accumulent fatigue, nostalgie et désespoir, le choeur des hommes entame un chant. Ces hommes chantent pour se rappeler leur pays et leur famille, ils chantent pour oublier et pour se donner du courage. Si notre sensibilité ne se trouve pas touchée par le destin tragique de grands héros, elle l’est par un cri du coeur sincère qui se fraie un chemin dans nos souvenirs ancestraux. Un sentiment étrange nous envahit, comme si tout d’un coup la douleur de l’exil de nos familles sortait de notre inconscient. Nous ne vivons pas immédiatement cette réalité mais notre histoire familiale se compose, à un moment ou à un autre, de ce déchirement.

C’est ici que rentre en scène notre fanciulla, qui se prénomme Minnie. Elle tient le Polka Bar et c’est en elle que les mineurs trouvent du réconfort. Représentant à la fois une mère qui les gronde gentiment et une soeur qui les veille lorsqu’ils sont malades. Minnie vit dans un univers masculin avec aisance puisque son coeur généreux lui vaut l’amour sincère des mineurs. Alors que le shérif tente une demande en mariage, un bel inconnu fait son entrée dans le bar, se présentant sous le nom de Dick Johnson. Petit problème : un hors-la-loi est activement recherché dans le secteur. Évidemment, nous ne tardons pas à nous douter de l’identité du nouvel arrivant, duquel Minnie tombe amoureuse. Dick et elle s’étaient déjà rencontrés mais leur route avait divergé. Émue de ces retrouvailles inattendues, Minnie invite Dick à venir la voir le soir dans sa maison au milieu de la forêt. L’acte II est époustoufl ant de tension narrative. Dick, étant le bandit qui venait pour voler l’or des mineurs, sera blessé par une balle du shérif. Réfugié chez Minnie, grâce à laquelle il a décidé de ne pas commettre de vol, il est découvert par le shérif qui voit une goutte de sang tomber du plafond. Minnie jouera donc au poker avec le shérif : si elle gagne, Dick est sauf et le shérif ne souffl era pas mot de sa présence ; si elle perd, Dick mourra pendu et elle devra se donner au shérif. Cette partie est une merveille musicale où l’orchestre oscille entre roulement léger et mélodie. Dans cette partie de poker, tout n’est pas noir ou blanc (comme nous le présente trop souvent les productions blockbusters). Minnie dit au shérif qu’elle l’a toujours respecté et lorsque Minnie gagne (en trichant), le shérif ne trahit pas sa parole et accepte l’amour qu’elle éprouve pour Dick.

Acte III. Une chasse à l’homme est organisée par les mineurs. Lorsqu’ils attrapent Dick, ces hommes ne ressentent plus rien de leur misère collective mais s’organisent en une masse de colère. Bien que Dick se défende de ne jamais avoir tué, la loi des hommes lui glisse quand même la corde au cou. L’assemblée s’accorde pour lui laisser dire ses dernières pensées. Point culminant de l’opéra, Puccini donne musicalement la place à l’homme qui comme les mineurs, par des hasards successifs, mène une vie qui ne ressemble en rien aux idéaux qu’il portait. Ch’ella mi creda… Dick demande aux mineurs que Minnie ne sache rien de sa mort misérable et ouvre ainsi son chant : « qu’elle me croit libre et loin, qu’elle m’attende, que les jours passent et qu’elle voit que je ne reviens pas ». Ce chant serre notre gorge par sa sincérité : Minnie n’est pas présente, Dick n’a rien à prouver. Ce dernier termine son chant en disant que Minnie est la seule fl eur de sa vie. Si une telle affi rmation nous paraît aujourd’hui légèrement comique, c’est peut-être parce que nous avons perdu une certaine forme de simplicité dans nos rapports au monde. Pour Dick et pour les mineurs, dans leur réalité où le passé est révolu à jamais et où le quotidien qu’ils vivent vient les détruire physiquement et psychologiquement, la fanciulla del west apporte effectivement un bonheur simple, sans artifi ces, qui naît de la véracité des sentiments humains.

Minnie arrive au milieu de l’assemblée, fusil à la main. Cette femme indépendante prend en main son avenir plutôt que de laisser un destin tragique s’imposer à elle. Les mineurs ont compris la noblesse de Dick qui respecte Minnie et qui voit en elle la compagne d’un nouveau voyage. Libres de partir, Minnie et Dick disent adieu à la Californie. Par une narration fl uide, par un décor magnifi que, par le jeu authentique des chanteurs nous franchissons la représentation théâtrale pour appartenir entièrement au monde de La Fanciulla del West. L’Opéra de Montréal interprète avec virtuosité cette oeuvre pour nous en laisser un souvenir émouvant. Bravo.

Raphaelle Occhietti