mardi 16 juin 2009

La Fanciulla del West de Puccini

La fanciulla del West ou la fille du Far West, un titre auquel on ne s’attend pas pour un opéra représenté pour la première fois en 1910 par le compositeur italien Puccini. Peut-être ce titre semble moins pouvoir porter la tension dramatique que nous connaissons par Madame Butterfly, Tosca ou La Bohème. Et pourtant ! L’opéra s’ouvre par l’image d’un train fi lant à vive allure qui s’estompe pour laisser place au décor de rouille et de carcasses métalliques. Qui retrouvons-nous ? Les mineurs, bien-sûr, des hommes qui donnent leur vie à la recherche de quelques pépites d’or qu’ils peuvent envoyer à leur famille restée au pays. Ils vivent au pied des Cloudy Mountains en Californie, passant de la mine au Polka Bar, où ils peuvent se réchauffer au whisky, entre les jeux et les filles. Dans cet endroit où s’accumulent fatigue, nostalgie et désespoir, le choeur des hommes entame un chant. Ces hommes chantent pour se rappeler leur pays et leur famille, ils chantent pour oublier et pour se donner du courage. Si notre sensibilité ne se trouve pas touchée par le destin tragique de grands héros, elle l’est par un cri du coeur sincère qui se fraie un chemin dans nos souvenirs ancestraux. Un sentiment étrange nous envahit, comme si tout d’un coup la douleur de l’exil de nos familles sortait de notre inconscient. Nous ne vivons pas immédiatement cette réalité mais notre histoire familiale se compose, à un moment ou à un autre, de ce déchirement.

C’est ici que rentre en scène notre fanciulla, qui se prénomme Minnie. Elle tient le Polka Bar et c’est en elle que les mineurs trouvent du réconfort. Représentant à la fois une mère qui les gronde gentiment et une soeur qui les veille lorsqu’ils sont malades. Minnie vit dans un univers masculin avec aisance puisque son coeur généreux lui vaut l’amour sincère des mineurs. Alors que le shérif tente une demande en mariage, un bel inconnu fait son entrée dans le bar, se présentant sous le nom de Dick Johnson. Petit problème : un hors-la-loi est activement recherché dans le secteur. Évidemment, nous ne tardons pas à nous douter de l’identité du nouvel arrivant, duquel Minnie tombe amoureuse. Dick et elle s’étaient déjà rencontrés mais leur route avait divergé. Émue de ces retrouvailles inattendues, Minnie invite Dick à venir la voir le soir dans sa maison au milieu de la forêt. L’acte II est époustoufl ant de tension narrative. Dick, étant le bandit qui venait pour voler l’or des mineurs, sera blessé par une balle du shérif. Réfugié chez Minnie, grâce à laquelle il a décidé de ne pas commettre de vol, il est découvert par le shérif qui voit une goutte de sang tomber du plafond. Minnie jouera donc au poker avec le shérif : si elle gagne, Dick est sauf et le shérif ne souffl era pas mot de sa présence ; si elle perd, Dick mourra pendu et elle devra se donner au shérif. Cette partie est une merveille musicale où l’orchestre oscille entre roulement léger et mélodie. Dans cette partie de poker, tout n’est pas noir ou blanc (comme nous le présente trop souvent les productions blockbusters). Minnie dit au shérif qu’elle l’a toujours respecté et lorsque Minnie gagne (en trichant), le shérif ne trahit pas sa parole et accepte l’amour qu’elle éprouve pour Dick.

Acte III. Une chasse à l’homme est organisée par les mineurs. Lorsqu’ils attrapent Dick, ces hommes ne ressentent plus rien de leur misère collective mais s’organisent en une masse de colère. Bien que Dick se défende de ne jamais avoir tué, la loi des hommes lui glisse quand même la corde au cou. L’assemblée s’accorde pour lui laisser dire ses dernières pensées. Point culminant de l’opéra, Puccini donne musicalement la place à l’homme qui comme les mineurs, par des hasards successifs, mène une vie qui ne ressemble en rien aux idéaux qu’il portait. Ch’ella mi creda… Dick demande aux mineurs que Minnie ne sache rien de sa mort misérable et ouvre ainsi son chant : « qu’elle me croit libre et loin, qu’elle m’attende, que les jours passent et qu’elle voit que je ne reviens pas ». Ce chant serre notre gorge par sa sincérité : Minnie n’est pas présente, Dick n’a rien à prouver. Ce dernier termine son chant en disant que Minnie est la seule fl eur de sa vie. Si une telle affi rmation nous paraît aujourd’hui légèrement comique, c’est peut-être parce que nous avons perdu une certaine forme de simplicité dans nos rapports au monde. Pour Dick et pour les mineurs, dans leur réalité où le passé est révolu à jamais et où le quotidien qu’ils vivent vient les détruire physiquement et psychologiquement, la fanciulla del west apporte effectivement un bonheur simple, sans artifi ces, qui naît de la véracité des sentiments humains.

Minnie arrive au milieu de l’assemblée, fusil à la main. Cette femme indépendante prend en main son avenir plutôt que de laisser un destin tragique s’imposer à elle. Les mineurs ont compris la noblesse de Dick qui respecte Minnie et qui voit en elle la compagne d’un nouveau voyage. Libres de partir, Minnie et Dick disent adieu à la Californie. Par une narration fl uide, par un décor magnifi que, par le jeu authentique des chanteurs nous franchissons la représentation théâtrale pour appartenir entièrement au monde de La Fanciulla del West. L’Opéra de Montréal interprète avec virtuosité cette oeuvre pour nous en laisser un souvenir émouvant. Bravo.

Raphaelle Occhietti

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